Sire Daniel et la Chevaleresse Cunegonde contre les têtes Ego et BoîteABobo
Voici une nouvelle aventure des « Chevaliers du Printemps« . Légèrement romancée; 100% vraie!
Demander aux collaborateurs de devenir autonomes et responsables trop vite peut s’avérer inefficace. Sire Daniel et la Chevaleresse Cunegonde en ont fait l’expérience. Comment s’en sont-ils sortis?
« Qui estime être limité dans sa fonction actuelle ? » – Toutes les mains se lèvent.
« Qui estime que la pression du management empêche la créativité et l’émancipation des collaborateurs ? » – Toutes les mains se lèvent.
« Qui estime que les collaborateurs du terrain sont plus à même de résoudre les problèmes et de développer de nouvelles solutions ? » – Toutes les mains se lèvent.
« Qui estime que le pouvoir de décision limité au niveau du management est incohérent avec leur connaissance réelle de la réalité du terrain ? » – La plupart des mains se lèvent.
« Nous sommes d’accord avec vous ! Nous voulons rendre notre entreprise plus cohérente, nous voulons vous redonner le pouvoir non pas parce que vous le méritez mais parce que vous n’auriez jamais dû le perdre ! » – Ovation générale !
« Qui veut plus d’autonomie ? Qui veut plus de responsabilité ? Qui veut jouir de plus de capacité d’initiative et de décision ? » – Toutes les mains se lèvent.
« Et bien, nous vous le donnons ! L’avenir de l’entreprise est entre vos mains ! »
La foule en délire applaudit à tout rompre.
Sire Daniel, le CEO de la société, est enjoué. C’était une étape importante. « Surtout ne pas rater sa première communication officielle à ce sujet », n’arrêtait-il pas de se répéter. Il est même surpris de l’engouement que cela a généré auprès de son auditoire de plus de 250 collaborateurs. Il a bien sûr capté quelques regards méfiants et réticents mais la plupart avaient l’air d’être sincères dans l’enthousiasme manifesté.
Pendant le drink, quelques collaborateurs se rapprochent discrètement de Sire Daniel qui discute de manière enjouée avec la Chevaleresse Cunegonde, Directrice des Ressources Humaines. Au bon moment, ils s’immiscent dans la conversation et posent la question suivante :
– Collaborateurs : « Merci, Sire, pour votre confiance et le projet de nous laisser plus d’autonomie et tout ça. »
– Daniel: « Oh, mais vous savez, c’est beaucoup grâce à votre DRH Cunegonde qui a pu m’expliquer et me convaincre de la justesse de cette manière d’engager les collaborateurs dans le projet d’entreprise : à leur juste place et dans leur juste capacité. J’ai eu vent de plusieurs royaumes qui ont fait ce pari et qui on atteint, semble-t-il, des résultats extraordinaires aussi bien humains que financiers. Alors je me suis dit : « Et pourquoi pas nous ? » »
– Collaborateurs : « Mais alors Sire, on se demandait ce que ça voulait dire concrètement… »
– Daniel: « Que voulez-vous dire ? »
– Collaborateurs : « Ben, être autonome et responsable. Tout ça, c’est super, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça va changer pour nous demain ? »
– Daniel: « Changer ? Mais ça va tout changer ! »
– Collaborateurs : « Quoi, dans le sens, on va changer de boulot ? »
Cunegonde – visiblement embarrassée – saute tel un preux Chevalier à la rescousse de son roi Daniel: «Euuh, non, bien sûr que non. Votre métier ne change pas. Mais la manière de le vivre et de le réaliser va être totalement transformée. »
– Collaborateurs : « Mais qu’est-ce qui va changer concrètement lundi matin ? On n’aura plus de chef ? Qui va nous distribuer le travail et prendre les décisions journalières ? On n’a plus de budget ? On fera ce qu’on voudra ? »
– Cunegonde: « Eh bien non, votre chef sera encore là lundi. Disons que tout cela va prendre un certain temps. On parle ici d’un changement culturel majeur. Mais pour aller dans le sens de votre question, à terme, vous prendrez vos décisions journalières tout seul ou en équipe. »
– Collaborateurs : « Et bien alors, qu’est-ce que ça change ? »
– Cunegonde: « Tout ! »
– Collaborateurs : « Mais quand ? »
– Cunegonde: « Dans le courant de l’année. »
– Collaborateurs : « Mais pourquoi ça ne commence pas tout de suite ? »
La Chevaleresse sent le souffle des têtes Ego et BoîteABobo dans son cou, prêtes à lui tomber dessus. Elle sait qu’elle joue gros. Ayant des enfants, la situation lui fait étrangement penser à l’anniversaire de son fils de 4 ans qui a reçu son premier vélo. La joie et l’émerveillement au moment de déballer le gros cadeau ont laissé place à une excitation qui, mal gérée, a fini en drame. Le petit voulait tout de suite aller faire du vélo dans la rue devant la maison. A cet âge, l’enfant ne mesure pas encore très bien la différence entre ses capacités réelles et son désir. « Typique de la manifestation de l’Ego, » se disait déjà Cunegonde. Il était difficile de faire comprendre à cette petite tête blonde que la route était dangereuse et qu’il fallait donc apprendre doucement dans un endroit un peu plus calme.
Possédé par la tête BoîtABobo, l’enfant réagit alors dans la plainte et la victimisation avec des pleurs, des cris et des attaques blessantes : « Vous ne me laissez jamais rien faire, nous ne m’aimez pas ! »
La Chevaleresse Cunegonde, bien décidée à ne pas commettre la même erreur deux fois, se ressaisit et tenta une nouvelle approche : « Ok, admettons que ça démarre tout de suite et que vous avez toute l’autonomie voulue. Qu’est-ce que vous feriez ? »
– Un collaborateur : « Pas facile comme question. Je ne suis pas très sûr. Je viendrais certainement vous demander par où commencer … »
Cunegonde, soulagée de la réponse presque idéale que le collaborateur a pu apporter, répondit en espérant clôturer la conversation:
« Cela démarrera effectivement le jour où vous n’aurez plus à poser cette question, ni à moi, ni à Sire Daniel, ni à votre chef. Mais où vous trouverez, seul ou en groupe, la solution que vous jugerez être la plus pertinente pour l’équipe ou l’entreprise. »
– Collaborateurs : « Mais c’est pas notre faute ça ! Jusqu’à présent c’est toujours là-haut que ça s’est décidé. »
– Cunegonde : « Je le sais bien, et c’est pour cela qu’il y a autant de travail à faire à tous les niveaux de l’entreprise, y compris dans la direction et le management. »
Bali : « Quand vous dites aux gens qu’ils ont la capacité d’être plus autonome et que vous allez leur donner la possibilité de prendre cette responsabilité, la plupart répondront : « Super ! Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? »
Il n’est pas conseillé de demander à quelqu’un de devenir autonome ; il peut s’avérer plus efficace de lui créer un espace dans lequel il n’aura tout simplement pas le choix. Et cela peut commencer par un tout petit espace qui grandira au fur et à mesure.
Lionel Barets
Publié le 19/05/2016