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Les Chevaliers du Printemps

Sire Daniel et la Chevaleresse Cunegonde contre les têtes Ego et BoîteABobo

Sire Daniel et la Chevaleresse Cunegonde contre les têtes Ego et BoîteABobo

Voici une nouvelle aventure des « Chevaliers du Printemps« . Légèrement romancée; 100% vraie!

Demander aux collaborateurs de devenir autonomes et responsables trop vite peut s’avérer inefficace. Sire Daniel et la Chevaleresse Cunegonde en ont fait l’expérience. Comment s’en sont-ils sortis?

« Qui estime être limité dans sa fonction actuelle ? » – Toutes les mains se lèvent.

« Qui estime que la pression du management empêche la créativité et l’émancipation des collaborateurs ? » – Toutes les mains se lèvent.

« Qui estime que les collaborateurs du terrain sont plus à même de résoudre les problèmes et de développer de nouvelles solutions ? » – Toutes les mains se lèvent.

« Qui estime que le pouvoir de décision limité au niveau du management est incohérent avec leur connaissance réelle de la réalité du terrain ? » – La plupart des mains se lèvent.

« Nous sommes d’accord avec vous ! Nous voulons rendre notre entreprise plus cohérente, nous voulons vous redonner le pouvoir non pas parce que vous le méritez mais parce que vous n’auriez jamais dû le perdre ! » – Ovation générale !

« Qui veut plus d’autonomie ? Qui veut plus de responsabilité ? Qui veut jouir de plus de capacité d’initiative et de décision ? » – Toutes les mains se lèvent.

« Et bien, nous vous le donnons ! L’avenir de l’entreprise est entre vos mains ! »

La foule en délire applaudit à tout rompre.

Sire Daniel, le CEO de la société, est enjoué. C’était une étape importante. « Surtout ne pas rater sa première communication officielle à ce sujet », n’arrêtait-il pas de se répéter. Il est même surpris de l’engouement que cela a généré auprès de son auditoire de plus de 250 collaborateurs. Il a bien sûr capté quelques regards méfiants et réticents mais la plupart avaient l’air d’être sincères dans l’enthousiasme manifesté.

Pendant le drink, quelques collaborateurs se rapprochent discrètement de Sire Daniel qui discute de manière enjouée avec la Chevaleresse Cunegonde, Directrice des Ressources Humaines. Au bon moment, ils s’immiscent dans la conversation et posent la question suivante :

– Collaborateurs : « Merci, Sire, pour votre confiance et le projet de nous laisser plus d’autonomie et tout ça. »

– Daniel: « Oh, mais vous savez, c’est beaucoup grâce à votre DRH Cunegonde qui a pu m’expliquer et me convaincre de la justesse de cette manière d’engager les collaborateurs dans le projet d’entreprise : à leur juste place et dans leur juste capacité. J’ai eu vent de plusieurs royaumes qui ont fait ce pari et qui on atteint, semble-t-il, des résultats extraordinaires aussi bien humains que financiers. Alors je me suis dit : « Et pourquoi pas nous ? » »

– Collaborateurs : « Mais alors Sire, on se demandait ce que ça voulait dire concrètement… »

– Daniel: « Que voulez-vous dire ? »

– Collaborateurs : « Ben, être autonome et responsable. Tout ça, c’est super, mais qu’est-ce que ça veut dire ? Qu’est-ce que ça va changer pour nous demain ? »

– Daniel: « Changer ? Mais ça va tout changer ! »

– Collaborateurs : « Quoi, dans le sens, on va changer de boulot ? »

Cunegonde – visiblement embarrassée – saute tel un preux Chevalier à la rescousse de son roi Daniel: «Euuh, non, bien sûr que non. Votre métier ne change pas. Mais la manière de le vivre et de le réaliser va être totalement transformée. »

– Collaborateurs : « Mais qu’est-ce qui va changer concrètement lundi matin ? On n’aura plus de chef ? Qui va nous distribuer le travail et prendre les décisions journalières ? On n’a plus de budget ? On fera ce qu’on voudra ? »

– Cunegonde: « Eh bien non, votre chef sera encore là lundi. Disons que tout cela va prendre un certain temps. On parle ici d’un changement culturel majeur. Mais pour aller dans le sens de votre question, à terme, vous prendrez vos décisions journalières tout seul ou en équipe. »

– Collaborateurs : « Et bien alors, qu’est-ce que ça change ? »

– Cunegonde: « Tout ! »

– Collaborateurs : « Mais quand ? »

– Cunegonde: « Dans le courant de l’année. »

– Collaborateurs : « Mais pourquoi ça ne commence pas tout de suite ? »

La Chevaleresse sent le souffle des têtes Ego et BoîteABobo dans son cou, prêtes à lui tomber dessus. Elle sait qu’elle joue gros. Ayant des enfants, la situation lui fait étrangement penser à l’anniversaire de son fils de 4 ans qui a reçu son premier vélo. La joie et l’émerveillement au moment de déballer le gros cadeau ont laissé place à une excitation qui, mal gérée, a fini en drame. Le petit voulait tout de suite aller faire du vélo dans la rue devant la maison. A cet âge, l’enfant ne mesure pas encore très bien la différence entre ses capacités réelles et son désir. « Typique de la manifestation de l’Ego, » se disait déjà Cunegonde. Il était difficile de faire comprendre à cette petite tête blonde que la route était dangereuse et qu’il fallait donc apprendre doucement dans un endroit un peu plus calme.

Possédé par la tête BoîtABobo, l’enfant réagit alors dans la plainte et la victimisation avec des pleurs, des cris et des attaques blessantes : « Vous ne me laissez jamais rien faire, nous ne m’aimez pas ! »

La Chevaleresse Cunegonde, bien décidée à ne pas commettre la même erreur deux fois, se ressaisit et tenta une nouvelle approche : « Ok, admettons que ça démarre tout de suite et que vous avez toute l’autonomie voulue. Qu’est-ce que vous feriez ? »

– Un collaborateur : « Pas facile comme question. Je ne suis pas très sûr. Je viendrais certainement vous demander par où commencer … »

Cunegonde, soulagée de la réponse presque idéale que le collaborateur a pu apporter, répondit en espérant clôturer la conversation:

« Cela démarrera effectivement le jour où vous n’aurez plus à poser cette question, ni à moi, ni à Sire Daniel, ni à votre chef. Mais où vous trouverez, seul ou en groupe, la solution que vous jugerez être la plus pertinente pour l’équipe ou l’entreprise. »

– Collaborateurs : « Mais c’est pas notre faute ça ! Jusqu’à présent c’est toujours là-haut que ça s’est décidé. »

– Cunegonde : « Je le sais bien, et c’est pour cela qu’il y a autant de travail à faire à tous les niveaux de l’entreprise, y compris dans la direction et le management. »

Bali : « Quand vous dites aux gens qu’ils ont la capacité d’être plus autonome et que vous allez leur donner la possibilité de prendre cette responsabilité, la plupart répondront : « Super ! Et qu’est-ce qu’on fait maintenant ? » 

Il n’est pas conseillé de demander à quelqu’un de devenir autonome ; il peut s’avérer plus efficace de lui créer un espace dans lequel il n’aura tout simplement pas le choix. Et cela peut commencer par un tout petit espace qui grandira au fur et à mesure.

 

Lionel Barets

Publié le 19/05/2016

La Chevaleresse Clervie contre la tête BoîteABobo

La Chevaleresse Clervie contre la tête BoîteABobo

La saga des « Chevaliers du Printemps » continue avec Clervie l’Optimiste qui est confrontée à la plainte et à la victimisation de la tête BoîteABobo. Comment va-t-elle s’en sortir? Légèrement romancée; 100% vraie!

La tension est là. Lourde et palpable. Les regards se croisent mais ne s’apprécient pas. Quelle mouche a donc piqué l’organisateur de rassembler autour de la table autant de diversité dans l’entreprise ? Des hauts managers, des cadres, des ouvriers, des représentants syndicaux, des responsables de la formation, de la communication, d’atelier ou encore des ressources humaines. A cette diversité de fonctions s’ajoutait une diversité d’origines et de confessions. Mais attention, il n’était pas autorisé de désigner quelqu’un par sa confession dans une logique de respect et d’égalité des chances. Néanmoins, dans le contexte qui rassemblait toutes ces personnes, il était évident que cela s’apparentait plus à une grosse hypocrisie qu’à autre chose. La richesse de tous ces genres était la raison de l’existence de ce comité : trouver ensemble des solutions aux problématiques de la diversité dans l’entreprise.

L’objectif de la journée était de découvrir ensemble des principes de base de la coopération et de l’intelligence collective pour mettre en place un comité de la diversité en charge d’élaborer des solutions concrètes face aux problématiques de plus en plus courantes et complexes dans l’entreprise : le faible taux de femmes à des postes de direction, l’accès des locaux aux handicapés, la nourriture hallal au restaurant, les prières sur le lieu de travail en présence des usagers, etc…

Au départ de cette journée, la Chevaleresse Clervie l’Optimiste était, comme son surnom l’indique, très optimiste. Après tout, particulièrement confiante dans son expérience et sa méthode, elle espérait bien obtenir quelque chose de concret et d’efficace de ce groupe qui n’avait jamais travaillé ensemble et qui représentait la totalité des opposés dans l’entreprise.

En démarrant la réunion par une ronde d’ouverture pour inviter chacun à s’exprimer, Clervie comptait démarrer sa journée de manière douce et agréable. L’intervention du premier participant dans la première minute allait commencer à chatouiller ses certitudes: « Alors je vais être direct. Je me sens très bien, néanmoins je tiens à clarifier quelque chose. Je viens de la région d’Anvers, je suis Flamand et j’ai des aprioris particulièrement négatifs sur le genre arabe. »

Immédiatement, le regard vigilant de Clervie, qui arborait son plus beau « pokerface », fit un aller-retour rapide mais attentif vers 2 des 3 représentants syndicaux d’origine arabe. « Allons-nous directement commencer par un pugilat ? » se demanda Clervie.

Fort heureusement, notre Chevaleresse fut rapidement rassurée en voyant l’expression des 2 représentants syndicaux visiblement concernés qui semblaient néanmoins ouvert d’esprit et accueillaient avec une bienveillance inattendue les propos de ce cadre particulièrement transparent.

Quelques participants plus tard, le 3e représentant syndical d’origine portugaise et de toute évidence également représentant de la tête BoîteABobo du dragon Sixo, prit à son tour la parole et déclara :

« Je vais être honnête, la séance a commencé il y a 10 minutes et je me fais déjà royalement chier. Je m’appelle José, je suis représentant syndical. Je suis également ouvrier à la maintenance. Maintenant, je vais être très clair, je suis ici pour représenter mes camarades qui n’ont pas la vie facile. Vous devez savoir qu’il y a de véritables saloperies qui se passent dans l’entreprise…. (2 minutes plus tard) … et de manière générale, les managers sont des cons. » « Finalement, la journée ne va peut-être pas être si simple… », se dit la Chevaleresse Clervie.

Une heure plus tard, après l’explication des principes théoriques de base, notre Chevaleresse à l’optimisme persévérant démarra un exercice dit d’intelligence collective. Le principe était d’aider un des participants confronté à une problématique en lui permettant de la partager et de recevoir des idées de tous les autres participants pour la résoudre.

Elle a déjà eu maintes fois l’occasion d’utiliser cet outil et a pu constater qu’il était particulièrement redoutable pour transformer l’énergie de la tête BoîteABobo, qui était généralement pleine de lamentations et de critiques, en énergie constructive, créative et porteuse de solidarité saine.

Le participant porteur du problème se trouvait être notre premier orateur de la région d’Anvers et manager dans la Direction Informatique de l’entreprise. Il abordait un problème complexe de cahier des charges aux contraintes particulières dans un contexte nébuleux. Bref, pas quelque chose de facile à appréhender. Cela dit, l’ensemble du groupe, incluant nos représentants syndicaux, joua le jeu et commença par lui poser des questions pour mieux comprendre sa problématique. Chaque participant pouvait à son tour poser une question. Quand le tour de José arriva, ce dernier exprima aussitôt une tirade qui avait un air de déjà-vu et qui donnait à la scène une allure de tragi-comique :

« Je vous rappelle que je suis représentant syndical. Je suis ici pour représenter mes camarades qui n’ont pas la vie facile. Vous devez savoir qu’il y a de véritables injustices qui se passent dans l’entreprise….(1 minute plus tard) … et de manière générale, les managers sont des cons. »

« La plainte qui se transforme en victimisation est probablement le parasite le plus contagieux dans un exercice collectif. Pour rendre ce collectif intelligent, il va falloir repérer la tête BoîteABobo rapidement, l’écouter pour la calmer, et l’inviter à réfléchir ou agir le plus vite possible en revenant immédiatement sur l’objectif de la réunion. Un seul recadrage bien réalisé peut faire la différence entre une réunion totalement désastreuse et un moment de pure magie. » – Bali l’Enchanteur.

A la fois amusée et embêtée, la Chevaleresse Clervie dans son rôle de facilitatrice fit preuve d’un grand doigté en lui répondant :

« José, tout ce que tu nous indiques ici est d’une importance capitale. Si effectivement des « saloperies » se produisent dans l’entreprise au détriment des employés et des ouvriers, il me semble important de pouvoir les repérer, les dénoncer et faire quelque chose. Je suis également convaincue qu’il y a des cons aussi bien parmi les managers que parmi les collaborateurs. Cela dit, ces sujets particuliers ne sont pas l’objet de ce que nous faisons maintenant. Par rapport au sujet de notre ami, as-tu une question de compréhension ? Ou est-ce que c’est clair pour toi ? »

La BoîteABobo de José fut apaisée et il put simplement répondre : « Je n’ai rien compris à la problématique, donc je n’ai pas de questions spécifiques. Je passe. »

Arrive le moment où chacun est invité à proposer des idées de solutions. José passe son tour à plusieurs reprises car la problématique était à des années lumières de sa réalité de terrain. Pourtant, à force d’entendre les autres proposer des pistes, il finit lui aussi par jouer le jeu et amener des éléments sur la table.

En fin de journée, José surprit absolument tout le monde en annonçant de manière spontanée et sincère lors de la ronde de fermeture:

« Et bien, je dois admettre que je comprends maintenant pourquoi vous, les managers, êtes plus payés que nous. Quel bordel vous devez gérer au quotidien ! »

L’ensemble du groupe explosa de rire dans un mélange d’étonnement et d’approbation. Les autres collègues représentants syndicaux hochèrent également la tête d’approbation et complétèrent les propos de José par le feedback suivant :

« Ce qui s’est passé aujourd’hui est incroyable. Je n’avais jamais participé à une réunion dans laquelle il est possible de s’écouter, de s’exprimer sans se juger et s’insulter. Sans rien se lancer à la figure non plus ! Et où le résultat est d’une qualité et d’une efficacité redoutable. J’aimerais que ça se passe comme ça avec nos collègues dans nos réunions syndicales. »

Quelques jours plus tard, chacun de ces participants entreprit des essais pour améliorer l’efficacité de leurs réunions de groupe. Certains avec succès d’autres avec moins de succès. Mais l’idée que « les choses peuvent se passer différemment » a été irrémédiablement semée dans cette organisation.

 

Lionel Barets

Publié le 2/2/2016

Le Chevalier Bauderic Le Brave contre la tête Dirco

Le Chevalier Bauderic Le Brave contre la tête Dirco

Voici une nouvelle aventure des « Chevaliers du Printemps« . Légèrement romancée; 100% vraie!

C’était un temps de légende, un temps où la magie côtoyait la réalité et où des choses incroyables se produisaient dans ce département des Ressources Humaines géré de manière inspirante par le Chevalier Bauderic. Il était surnommé affectueusement « le Brave » pour sa capacité en tant que DRH à avoir une vision audacieuse du monde de l’entreprise dans une institution figée, ancestrale et pas réellement intéressée par la nécessité du changement.

Il a su transformer son département où la tête Silo régnait en maître et où ses managers directs responsables de différents services tels que la paie, la formation, le recrutement ou encore les méthodes n’avaient que faire des problématiques de leurs pairs.

En moins de 6 mois, Bauderic avait pu créer une équipe soudée capable d’affronter les challenges organisationnels en impliquant tous les collaborateurs du département dans des réflexions stratégiques et opérationnelles. Il avait su repérer les principes et méthodes qui ont permis à son département de mûrir et de développer les bases d’une véritable intelligence collective. Parmi ces principes, il y en avait un qui l’avait particulièrement séduit en tant que Chevalier amateur de la bonne vieille table ronde: le mode circulaire.

Le concept était aussi rudimentaire qu’efficace. Il consistait à permettre à chacun de s’exprimer à son tour, en faisant tourner la parole autour de la table. Les mots de Bali l’Enchanteur raisonnaient encore dans sa tête :

« Pour permettre à chacun de donner son point de vue et d’avoir une chance d’être écouté, il peut s’avérer utile de contraindre les égos démesurés au silence. Et pour mettre tout le monde sur un pied d’équivalence, mieux vaut faire tourner la parole. »

« C’est assez remarquable la quantité de choses intéressantes que l’on peut entendre quand on commence par se taire, » se remémorait Bauderic souvent suite à sa propre expérience quelques mois plus tôt. Il était alors le premier à monopoliser la parole en réunion.

Bauderic Le Brave n’était pourtant qu’à moitié satisfait, il ne rêvait pas uniquement d’un département RH mature et coopératif. Il ambitionnait de transformer toute l’entreprise encore sclérosée dans des attitudes archaïques de management où la contestation grondante des citoyens prenait de plus en plus d’ampleur.

Pour développer un plus grand impact dans l’entreprise, il avait nécessairement besoin d’avoir le soutien, l’engagement et l’exemple de la plus haute instance du royaume : le comité de direction. Hélas, ce dernier était sous l’influence de la tête malfaisante Dirco. Celle-ci était particulièrement douée pour jouer avec les égos de ces directeurs qui tels des empereurs à la tête de leurs royaumes respectifs se souriaient en apparence mais luttaient en réalité pour développer leur influence, se faire l’allié du grand patron et même prendre sa place. « Un beau panier de crabes, » se disait très souvent Bauderic Le Brave face à cette situation.

Conscient de l’impossibilité de faire évoluer l’entreprise dans son ensemble sans faire gagner en maturité le comité de direction, Bauderic aimait se laisser aller à rêver de réunions plus plaisantes, efficaces et constructives. En fait, des réunions à l’image de ce qu’il vivait avec ses managers aux RH.

Mais la dure réalité finissait toujours par le rattraper. Les réunions du comité de direction était décousues et empreintes de longs laïus tantôt autoglorifiants, tantôt autojustificateurs des directeurs. Sans compter le nombre de sujets controversés qui étaient soit le terrain propice à des disputes interminables où chaque partie tentait de convaincre les autres sans les écouter, soit le terrain à ne jamais aborder et à toujours remettre à plus tard. Une crainte grandissante occupait Bauderic : « Comment ce comité va pouvoir décider sur les grands sujets stratégiques nécessaires à la survie à moyen et long terme de cette institution ? »

Un jour, le Chevalier tenta une expérience pour essayer d’améliorer le fonctionnement des réunions du comité de direction.

Il voulut leur amener ce fameux concept qui l’avait tant séduit et qui avait à lui seul apporté beaucoup à son équipe : le fameux « mode circulaire ».

Bauderic commença au début d’un comité de direction par proposer de présenter le concept poussé par l’espoir que cela pourrait les intéresser. Reçu avec scepticisme, il eut néanmoins droit à 10 royales minutes pour s’expliquer. Après avoir présenté les résultats obtenus dans son département pour tenter de susciter l’intérêt de ces collègues, il aborda le concept du mode circulaire en expliquant les principes de fonctionnement et les bénéfices concrets tout en laissant sous-entendre que le comité aurait tout à gagner à s’y essayer.

Tout du long de sa présentation, il regardait avec attention les réactions de ses collègues et crut y déceler à quelques occasions une lueur d’intérêt et d’ouverture. Sans trop croire au miracle, il se sentait néanmoins de plus en plus en confiance et légitime pour introduire ce mode de fonctionnement dans le comité de direction et l’élever à un niveau supérieur.

Arrivé à la fin de sa présentation, il utilisa un peu naïvement une réflexion de Bali dont l’usage était uniquement réservé aux esprits suffisamment ouverts. La phrase humoristique qui apparut se révéla être le clou de son cercueil : « Avec le mode circulaire, on tourne en rond pour aller droit au but. » En effet, le mode circulaire est tellement efficace dans certains contextes qu’il permet à une équipe d’atteindre son but très rapidement en réunion en évitant les tours et détours.

A la grande surprise de Bauderic, les autres directeurs bloquèrent sur la phrase et utilisèrent ce faux prétexte pour décrédibiliser l’approche et les résultats obtenus et désamorcer ainsi immédiatement la tentative du Brave. Le Chevalier dut alors encaisser le souffle brûlant du dragon crachant des:

  • « Comment voulez-vous aller droit au but en tournant en rond ? »
  • « C’est ce genre de conneries que vous avez servi à vos équipes ? »
  • « Quand je pense que vous avez payé des consultants pour sortir des trucs pareils, je me demande s’il est raisonnable de vous laisser une telle autonomie dans la gestion de votre département ! »
  • « Peut-être que ça marche pour vos équipes immatures, mais nous « comité de direction » nous n’en n’avons pas besoin ! »
  • « Mais autour de quoi voulez-vous tourner exactement ? »
  • Et encore mieux : « Je ne crois pas qu’il y ait des problématiques d’égo ici ! Allons ! Nous ne sommes pas dans un jardin d’enfants. »

Si seulement cela avait été un jardin d’enfants, Bauderic aurait pu pardonner l’irresponsabilité et espérer un quelconque apprentissage ou espoir de développement ! Malheureusement Ego, la tête en chef du dragon Sixo était parfaitement de mèche avec Dirco. L’évolution de ce comité semblait désormais très improbable aux yeux de Bauderic.

S’ensuivirent un ensemble d’autres péripéties dans la même veine. Le Chevalier Bauderic finit par quitter ce royaume pour se lancer dans de nouvelles quêtes dans l’espoir de faire évoluer d’autres entreprises qui pourraient manifester une ouverture plus importante au sein de leur comité de direction.

Mais attention, Dirco a développé une influence redoutable dans de nombreux comités de direction. Le Chevalier Bauderic le Brave en est bien conscient. Toujours aussi déterminé, il s’y prendra un peu différemment la prochaine fois….

« Ne confonds pas ton propre enthousiasme avec les prérequis nécessaires chez l’autre pour entendre ce genre de discours. » – Bali l’Enchanteur

Lionel Barets

Publié le 10/12/2015

Les Chevaliers du Printemps

Les Chevaliers du Printemps

Dans une époque de crise, de remise en question, d’incertitude et de grandes complexités, les anciens héros ne font plus recette. Et même si devenir un grand entrepreneur qui a trouvé un concept innovant et a créé une société internationale leader de son marché reste impressionnant et attirant, il existe aujourd’hui, tapis dans l’ombre et ne cherchant pas la lumière des projecteurs, des nouveaux héros qui sont tout aussi méritants.

Le monde des organisations bascule progressivement dans le « Printemps de l’Entreprise ». Dans cette période de doute, les paradigmes et les fonctionnements actuels sont remis en question et transformés pour laisser plus de place à l’autonomie et à la créativité de ses membres ainsi que pour renforcer leur travail de coopération. Le principe est simple, logique, de bon sens même. Et pourtant il est délicat à mettre en place.

Il peut être étonnant comme le bien du plus grand nombre doit passer par autant d’obstacles et de souffrances. Obstacles et souffrances généralement créés par ce « plus grand nombre ». Paradoxe ? Absurdité ? Non. Il s’agit simplement du constat de la réalité des entreprises d’aujourd’hui. A l’image de la personne privée de lumière pendant des années qui se plaint de l’obscurité et qui se plaindra et pourra même refuser la lumière lorsqu’elle apparaîtra sous prétexte que cela lui fait mal aux yeux, les citoyens du monde de l’entreprise s’opposeront aux nouveaux paradigmes sous prétexte que cela ne changera rien.

Amener la lumière dans les organisations est finalement quelque chose de particulièrement complexe. Quelque chose qui nécessite des qualités extraordinaires pour affronter des défis qui le sont encore plus. Des défis où les paradoxes et l’absurdité frôlent la science-fiction. L’entreprise a donc besoin de nouveaux héros, tels des chevaliers modernes dans une quête d’évolution des entreprises. Elle a besoin des Chevaliers du Printemps !

Qui sont les Chevaliers du Printemps?

Les Chevaliers du Printemps sont les nouveaux héros de l’entreprise. Ils peuvent être dirigeant, responsable des ressources humaines, change manager, chef de projet, manager ou collaborateur. Leur profil contraste nettement avec leurs illustres prédécesseurs, entrepreneurs de génie souvent individualistes, ayant trouvé un concept innovant les propulsant leaders du marché et les rendant particulièrement visibles et enviés. Les Chevaliers du Printemps sont plus orientés vers le fonctionnement interne de l’entreprise et vers le collectif. Ils ne cherchent ni la lumière des projecteurs ni la reconnaissance de la réussite. Ils sont engagés dans leur quête de faire évoluer leur organisation.

Ces nouveaux héros sont indispensables pour faire évoluer les entreprises aujourd’hui. Grâce à leurs atouts et capacités tels que l’audace, la volonté de changement, le fort désir de coopérer et la capacité à gérer l’incertitude, ils font la différence. Cependant, ils ne peuvent pas changer les choses à eux seuls. Leur stratégie nécessite de créer d’autres héros dans l’organisation afin que le changement s’opère depuis différents foyers.

Les Chevaliers du Printemps peuvent être considérés comme de véritables héros car la noble quête qu’ils poursuivent dans l’intérêt collectif n’est pas aisée. En effet, les personnes et systèmes qu’ils tentent de « sauver » s’avèrent être leurs premiers ennemis.

 

Et les méchants dans tout ça?

Qui dit héros, dit vilains. Le plus grand et le plus dangereux des ennemis du Chevalier du Printemps est le dragon à six têtes, Sixo. Chaque tête a sa propre personnalité et crée des problèmes bien spécifiques. Ensemble, elles sont à l’origine des grands maux des entreprises actuelles.

La première tête s’appelle Ego. Elle est le chef des têtes. Ego incite les individus de l’organisation à satisfaire leurs désirs personnels et à les faire passer avant les intérêts collectifs. Il arrive très souvent que les égos entrent en compétition les uns avec les autres car les désirs ne coïncident pas. S’ensuivent des luttes de pouvoir et des guerres d’égo qui se terminent souvent par une grande insatisfaction générale.

Silo est le nom de la deuxième tête. Silo provoque le regroupement des individus entre pairs, services ou métiers qui s’isolent et s’excluent entre eux. Dans les entreprises on retrouve souvent des services ou des départements entiers qui vivent selon leurs propres rythmes et assouvissent leurs propres désirs en étant déconnectés des autres services et départements voire même de la finalité de l’organisation tout entière. Chaque silo tente de satisfaire sa propre volonté comme s’il était doté de son propre égo.

La troisième tête est StatuQuo. Elle oblige les individus à rester dans leur zone de confort et à la défendre même si la situation y est difficile ou inconfortable. En effet, il est plus facile de se plaindre d’une situation bien connue tout en défendant le non changement que de s’armer de courage et de s’aventurer sur une terre inexplorée.

La quatrième tête porte le nom de BoîteABoBo. Elle est passée maître dans l’art de générer de la frustration chez les individus. Elle encourage la plainte et la victimisation de masse car il est plus rassurant de souffrir en groupe que tout seul. C’est ainsi que les individus créent des coalitions contre tout ce qui ne leur plaît pas dans l’entreprise.

La cinquième tête s’appelle SupportAlo. Elle porte bien son nom car elle s’évertue à transformer les services de support de l’entreprise en véritables dictateurs qui, sous prétexte de soutenir les activités opérationnelles et business, imposent leurs processus à toute l’entreprise comme si son avenir dépendait d’eux. Ils deviennent alors plus des empêcheurs de tourner en rond que des réels soutiens à l’activité de l’entreprise.

La sixième tête est Dirco. Cette dernière tête manipule le comité de direction de l’entreprise à sa guise. Elle adore faire s’affronter les grands égos des directeurs dont les comportements et les attitudes maintiennent et nourrissent StatuQuo, BoîteABoBo, SupportAlo et Silo.

La quête des Chevaliers du Printemps

Les preux chevaliers ont pour quête d’atteindre le coffre au trésor de l’entreprise protégé par le dragon Sixo et de sauver son contenu. Pour ce faire, ils tentent de mobiliser d’autres chevaliers tout en évitant de se faire dévorer par l’une des six têtes du dragon et de tomber dans d’innombrables pièges.

Le coffre au trésor de l’entreprise contient son bien le plus précieux : ses citoyens. Cette population majoritairement passive vit à l’ombre du dragon par habitude. Elle se plaint de sa situation et a le sentiment de foncer dans un mur sans pouvoir rien y faire. Elle ne change pas de direction et continue de (dys)-fonctionner régie par les lois du dragon qu’elle craint par-dessus tout. Pour être en paix, elle ne lutte pas et défend même le dragon contre les Chevaliers du Printemps.

Pour réussir à sauver le coffre au trésor, les chevaliers doivent apprendre à apprivoiser le dragon mais ils ne doivent surtout pas lui couper les têtes car celles-ci repoussent aussitôt et deviennent encore plus hargneuses. Chaque tête a un côté positif et les chevaliers doivent apprendre à utiliser ces forces pour réaliser leur noble quête.

Bali l’Enchanteur

Comme tout chevalier poursuivant une noble cause, les Chevaliers du Printemps ne sont pas seuls dans leur quête. Ils sont aidés par Bali l’Enchanteur. Bali incarne les valeurs essentielles et nécessaires au Chevalier du Printemps : la Bravoure, l’Ambition, la Loyauté et l’Imagination (B.A.L.I.). La bravoure se traduit par le courage et l’audace, l’ambition par l’espoir, la loyauté par la bienveillance pour l’organisation et l’imagination par la créativité et l’innovation.

Bali, dans sa grande bienveillance et son infinie sagesse, dispense des mises en garde et des conseils aux chevaliers afin qu’ils puissent franchir les obstacles et identifier les pièges qu’ils rencontreront dans leurs péripéties. Parmi les mises en garde, il a établi une liste de principes dont le nombre est encore méconnu. Voici déjà les 5 premiers principes selon Bali :

  • « Pour évoluer, toute entreprise a besoin de héros qu’elle s’évertue à crucifier. C’est pour cela que ce sont des héros »
  • « Aux yeux des citoyens, héros et vilains ne font qu’un car tous deux passent pour des importuns. »
  • « L’énergie du héros est la foi tandis que celle du vilain est la frustration. Un héro frustré est atteint de foistration. »
  • « Le côté obscur du vilain n’est pas le plus fort. Par contre, il est le plus rapide, le plus facile et le plus séduisant. N’aie crainte, si tu t’engages sur le chemin obscur, tu pourras quand même revenir du bon côté. »
  • « L’énergie de la foi est dix fois plus puissante que celle de la frustration. Par contre, elle se désagrège dix fois plus vite. Il faut donc l’alimenter 11 fois plus pour avoir un peu d’avance. »

Le Royaume des entreprises selon Bali

Bali observe depuis très longtemps les mouvements qui ont lieu dans le Royaume des entreprises. Il en a déduit qu’il existe 2 types d’entreprises agonisantes qui vont probablement mourir. D’un côté, il y a celles qui ont en leur sein des héros qu’elles crucifient sur l’autel du statu quo. De l’autre, il y a celles qui n’ont pas de héros. Si l’une et l’autre de ces entreprises ne se réveillent pas très vite, Bali leur prédit un avenir des plus sombres.

Les Chevaliers du Printemps vous le confirmeront : ce n’est pas facile d’être un héros par les temps qui courent ! Pourtant, ils gardent espoir et persévèrent car leur quête en vaut la peine. Cet article est le prologue des aventures des Chevaliers du Printemps. A travers différents récits, vous apprendrez à mieux les connaître, vous découvrirez les armes et les stratégies qu’ils utilisent, vous connaîtrez leurs victoires et leurs défaites et vous profiterez des conseils avisés de Bali.

A bientôt pour la suite des aventures !

Lionel Barets, le 15/09/2015

Le Printemps de l’Entreprise: « L’entre-deux mondes »

Le Printemps de l’Entreprise: « L’entre-deux mondes »

Citoyens du monde de l’entreprise, le vent de la contestation souffle sur les systèmes de management en place ! La brise légère d’aujourd’hui peut prendre avec le temps des allures de tempêtes et de tornades.

Les directions d’entreprise doivent-elles s’inquiéter ? Uniquement celles qui protègent les petits intérêts personnels de la caste dirigeante. Celles qui sont orientées vers le développement durable de leur organisation et qui savent remettre en question la pensée managériale du 20ème siècle ne peuvent que se réjouir !

Bienvenue au Printemps de l’Entreprise !

J’ai décidé d’appeler ce mouvement qui se manifeste déjà aujourd’hui et qui va prendre de plus en plus d’ampleur, le « Printemps de l’Entreprise » en référence à deux notions. La première est celle du printemps arabe qui a déclenché un vaste mouvement de contestation du peuple envers son gouvernement ainsi que l’amorce d’un renouveau et de liberté dans de nombreux pays arabes. La seconde est celle du printemps qui dégèle l’immobilisme de l’hiver et fait émerger des émotions d’envie et de plaisir.

En effet, je pense qu’il est temps pour les entreprises de sortir de l’hiver du management du 20ème siècle. Ce type de management issu de la pensée taylorienne de l’industrialisation est à l’origine des grosses structures très hiérarchisées où le pouvoir est concentré au sommet et où la spécialisation des tâches entraîne le cloisonnement des individus.
La pensée taylorienne, utile en son temps pour permettre un développement économique et social, a permis à l’humanité de franchir un cap important dans son évolution. Mais, comme toute forme de pensée dépassée, elle représente aujourd’hui notre limite pour franchir le cap suivant car elle empêche tout esprit d’initiative, d’innovation et de coopération.

Vers une redéfinition du fonctionnement des organisations

Les paradigmes et les formes organisationnelles qui régissent les entreprises ainsi que les manières de faire des dirigeants, managers et employés ne sont plus adaptés ni aux réalités ni aux enjeux de notre temps. Ce constat s’est imposé à moi très tôt dans ma carrière et semble être devenu une évidence pour un nombre grandissant de personnes aujourd’hui.

Tellement évident que certaines entreprises se sont risquées à se libérer du carcan des lourdes structures managériales autoritaires et directives pour aller vers des formes organisationnelles coopératives qui favorisent l’émergence de l’intelligence collective et de l’innovation.

Toutes les initiatives d’évolution des modèles organisationnels et managériaux auxquelles j’ai contribué en tant qu’accompagnateur ainsi que toutes celles dont j’ai pu prendre connaissance semblent converger vers une redéfinition globale du fonctionnement des organisations. Cette redéfinition tend à responsabiliser et à augmenter l’autonomie des individus ainsi que la coopération entre eux afin de permettre le développement de l’intelligence collective à tous les niveaux de l’entreprise.

Le « Printemps de l’Entreprise » désigne donc cette période transitoire qui amène les organisations à se redéfinir. Dans le sens que je lui donne, le Printemps de l’Entreprise correspond à un moment de prise de conscience qui met en exergue les tensions et les paradoxes présents dans les organisations d’aujourd’hui et qui les invite à évoluer en terme de paradigmes, de structures et de pratiques. Il permet de faire une révolution ET une évolution des organisations en même temps.

Tous responsables

Pour faire éclore les organisations de demain, nous sommes tous responsables de faire notre part : dirigeants, managers, employés, clients, fournisseurs et indépendants. Co-responsables, nous agissons pour instaurer une façon plus humaine de créer de la prospérité au sein des organisations.

Un jour, dit une vieille légende amérindienne, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux, terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le Toucan, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Tu crois que c’est avec ces gouttes d’eau que tu vas éteindre le feu ? »
Et le colibri lui répondit : «Non, mais je fais ma part».

Cet article est le premier d’une toute nouvelle série intitulée « Le Printemps de l’Entreprise ». A travers cette série, je souhaiterais partager avec vous les expériences et les observations accumulées en tant qu’accompagnateur de nombreuses entreprises et vous présenter quelques outils de fonctionnement utilisés notamment par les entreprises dites « libérées ». J’aimerais également mettre en avant des exemples concrets d’entreprises ayant traversé leur Printemps à travers la synthèse de différents ouvrages sur le sujet.

Lionel Barets, le 12 mars 2015

Le chevalier Henri Ouille contre la tête Ego

Le chevalier Henri Ouille contre la tête Ego

Ceci est le premier récit de notre saga « Les Chevaliers du Printemps. » Légèrement romancé ; 100% vrai!

Sous un soleil timide probablement apeuré par la stature imposante de nuages menaçants, l’apprenti Chevalier Ouille de son prénom Henri avance d’un pas déterminé vers un bâtiment accueillant, à l’image de ses sympathiques locataires temporaires.

Ouille est représentant syndical. En cette froide matinée d’automne, il vient animer une assemblée de réflexion rassemblant ses confrères de différentes contrées pour établir une liste commune de revendications pour la nouvelle année. Ouille a reçu très récemment les précieux enseignements de Bali l’Enchanteur. Fort de ces connaissances nouvelles, il continue d’avancer d’un pas confiant et plein d’espoir vers ses camarades qu’il espère être ouverts à sa proposition audacieuse. Néanmoins, il porte en lui une crainte légitime.

Chaque année cette réunion se déroule de manière identique. Tout le monde vient avec les meilleures volontés pour tenter de produire quelque chose qui rallierait l’ensemble des participants. Malheureusement, trois ou quatre égos particulièrement démesurés sur environ 30 participants monopolisent toute l’attention. Ils cannibalisent à eux seuls toute l’énergie de la rencontre. En s’affrontant et en tentant de se convaincre mutuellement, ils prennent en otage toute l’assemblée.

Le résultat est toujours le même : une grande lassitude s’empare du groupe, des conflits éclatent entre certains participants et une liste de revendications décousue est produite à la fin de la journée. Liste que personne n’accepte réellement. Chacun repart alors dans sa contrée avec en tête ses propres idées. Cela maintient finalement une inconsistance forte au sein du syndicat ce qui ébranle sa crédibilité et déforce son action dans l’entreprise.

Aujourd’hui, cela peut être différent car c’est au tour de l’apprenti Chevalier Henri Ouille d’animer cette rencontre. Une fois tout le monde installé, Ouille s’avance dans sa belle armure luisante un micro à la main. Après avoir salué chaleureusement la foule, il annonce les objectifs de la journée. Mais avant de commencer le travail en tant que tel, il aborde une manière de travailler un peu différente avec laquelle les « camarades » ne sont pas vraiment familiers. Il explique les bienfaits d’une approche participative permettant à chacun de s’exprimer dans le calme et la sérénité. L’objectif de cette approche est d’être à l’écoute de chacun et de collecter toutes les frustrations et les idées nécessaires à la construction d’une proposition solide qui permettra de réaliser des revendications.

A peine a-t-il fini de présenter son approche qu’un participant possédé par la tête Ego du Dragon Sixo s’esclaffe. De manière virulente et particulièrement empreinte de colère, il conteste la méthode, remet en question la légitimité de l’animateur et impose telle une vérité unique son point de vue. Il est immédiatement suivi par les deux autres égos dominants dont l’arrogance intellectuelle n’a d’égale que leur profonde peur de perdre le pouvoir de l’influence.

La peur mène à la colère, la colère mène à la haine et la haine mène à la souffrance. « Nous voilà bien embarqués sur le chemin obscur », se dit notre apprenti Ouille en constatant le silence et la passivité des autres participants face à cette prise en otage orchestrée inconsciemment par encore et toujours les mêmes personnes.

Un mélange de colère et de sérénité emplissent en même temps notre héros qui s’était préparé à cette éventualité plus que probable. Lui vient alors en tête un enseignement de Bali l’Enchanteur : « Pour donner le pouvoir aux citoyens, il est nécessaire de commencer par le reprendre à ceux qui l’ont capturé. »

L’apprenti Chevalier Ouille, armé de son courage et de sa conviction, eut alors tout le loisir d’appliquer le principe de Bali d’une manière très personnelle. Il n’avait pas le choix. Il devait absolument reprendre le pouvoir à ces trois têtes mal pensantes possédées par l’Ego de Sixo et le redonner au groupe.

Son action a été une intervention verbale particulièrement appuyée qui ne laissait absolument aucun doute sur sa détermination et son autorité naturelle : « Adelphe, Pierrick, Brieuc, vous vous êtes maintenant exprimés sur un point pour lequel je ne vous ai pas demandé votre avis. Vous allez maintenant faire plaisir à tout le monde et fermer vos gueules quand c’est pour critiquer tout ce qui ne va pas dans votre sens ! Si on est ici à 30 c’est pour entendre tout le monde, sinon ce n’est pas la peine de demander à chacun de venir. Alors soit vous participez comme les autres et pas à la place des autres, soit vous allez faire votre réunion à part et vous revenez avec des conclusions que nous regarderons ensemble. J’impose le fait d’écouter tout le monde et de construire ensemble cette liste. Est-ce que je suis bien clair ?! »

Six heures plus tard, le groupe a pu constituer pour la première fois de son existence une liste commune de revendications supportée par tout le monde incluant nos trois amis contestataires. Il s’agit là d’un momentum dans leur histoire !

Vous croyez que c’est l’apothéose de l’histoire ? Détrompez-vous !

Un an plus tard, il a été demandé à notre héros d’animer une nouvelle fois la journée. Investissant de nouveau l’armure luisante du Chevalier, il a poussé encore plus loin son action de faire évoluer son groupe. Et quel thème a-t-il osé amener cette année-là ?

« Les organisations évoluent, elles ont de nouveaux enjeux et de nouvelles contraintes, elles se remettent en question et s’adaptent au monde d’aujourd’hui. Par contre, nous, syndicats, sommes organisés comme à nos origines, nous revendiquons les mêmes choses et nous activons les mêmes leviers. Sommes-nous adaptés aux organisations actuelles ? Avons-nous un quelconque intérêt pour les travailleurs d’aujourd’hui et de demain ? Devons-nous évoluer ? »

L’apprenti Chevalier est ainsi devenu maître Chevalier par sa clairvoyance, son ambition de faire évoluer ce que la plupart estime immuable, son courage et sa capacité à gérer, à sa manière, les égos dominants pour rendre le pouvoir aux citoyens.

Lionel Barets